Le monde entier parie sur la transition énergétique mais, pour produire des batteries, des éoliennes ou des véhicules électriques, il faut accélérer l’extraction de minerais dits « critiques », c'est-à-dire essentiels à la construction des technologies bas-carbone. Dans ce contexte, l’Afrique se retrouve au centre d’un paradoxe : le continent concentre environ 30 % des réserves mondiales, mais représente à peine 8 % de la production. Ce déséquilibre, pointé dans le hors-série Le Potentiel minier de l'Afrique, était au cœur des préoccupations du webinaire du 3 avril 2025 organisé par l'AFD. Face à l’emballement des besoins, une course aux ressources et à la production s’intensifie. Reste à savoir comment l’Afrique peut répondre à cette pression sans rejouer le scénario de l’extraction sans transformation, ni retombées locales durables.
Premier constat : la demande mondiale explose. Comme le rapporte Philippe Bosse, chargé de mission à l’AFD, la planète consommera dans les trente prochaines années plus de minerais qu’elle n’en a extrait depuis le début de l’humanité. Ce basculement impose une refonte profonde du modèle d'exploitation extractif. L’enjeu est désormais clair : transformer l’abondance géologique du continent en moteur de développement, et non en curseur de dépendance.
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Changer de rôle : de fournisseur brut à acteur industriel
Ce renversement passe par une révision stratégique. Structurer des partenariats régionaux solides, imposer des contreparties industrielles, développer les infrastructures logistiques, consolider les agences de régulation minières, environnementales, sociales et fiscales, et accroître l’approvisionnement énergétique : autant de leviers évoqués par Julien Gourdon, économiste principal à l’AFD, chercheur associé au Cerdi et coauteur de ce hors-série, et Thomas Lassourd, qui dirige l’Initiative mondiale sur la fiscalité minière auprès du secrétariat du Forum intergouvernemental sur l’exploitation minière, les minéraux, les métaux et le développement durable (IGF).
Encore faut-il avoir la capacité d'activer ces leviers. « La manière dont les pays africains pensent les politiques minières est encore trop déconnectée des dynamiques industrielles », souligne Julien Gourdon. Toutefois, il rappelle aussi que le lancement d'initiatives de transformation des minerais dans les pays où se réalisent ces investissements permettra de créer davantage de valeur ajoutée et de générer des bénéfices économiques locaux et régionaux, renforçant ainsi la durabilité des investissements en Afrique.
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Mais l’ambition ne suffit pas. À défaut d’infrastructures et d’énergie fiable et bon marché, la transformation locale reste un mirage. D’autant que la chaîne de valeur minière est de plus en plus concurrentielle. « Dans de nombreux cas, la meilleure option économique consistera à maximiser les recettes minières pour les réinvestir dans d’autres secteurs économiques dans lesquels les pays disposent d’avantages comparatifs », précise Thomas Lassourd. Philippe Bosse, quant à lui, appelle à des diagnostics réalistes, à rebours des discours incantatoires. Le Botswana, souvent cité en exemple pour avoir su négocier, il y a plusieurs dizaines d’années, la taille locale de ses diamants auprès de ses partenaires, illustre selon lui cette souveraineté contractuelle plutôt réussie à l’époque. Preuve qu’une stratégie bien construite peut ouvrir des voies intéressantes pour toutes les parties sur le long terme.
L’oublié collatéral : l’artisanat minier
Autre angle mort du débat : l’exploitation artisanale. Avec plus de 10 millions de travailleurs contre 200 000 dans le secteur formel, l’artisanat est tout sauf marginal lorsqu’on parle d’extraction minière en Afrique. Pour Philippe Bosse, « Il faut cesser de penser les artisans comme une catégorie informelle et secondaire. » Leur intégration dans une stratégie encadrée, respectueuse et structurée est plus qu’indispensable – elle est vitale pour que les pays africains restent maîtres de la valeur captée grâce à l’extraction des gisements. Le défi : réguler l’artisanat sans l’écraser, l’accompagner sans le déposséder, en faire un levier de développement local, souvent dans des zones éloignées.
« On ne peut pas appeler à la transition énergétique et refuser d’ouvrir la discussion sur les externalités du secteur extractif en Afrique », souligne Julien Gourdon au sujet des impacts environnementaux liés à l’extraction. Et de souligner que les opportunités liées aux minerais critiques imposent la diffusion de standards environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) afin de promouvoir des pratiques plus responsables et plus durables pour chacun. Le continent risque sinon de devenir la victime cachée d’une transition écologique pensée ailleurs. Sans États solides pour encadrer les pratiques environnementales des sociétés minières, les standards ESG restent des intentions sans effet véritable.
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Exigences environnementales et sociales
Pour intégrer et contenir cet impact de l’extraction, le groupe AFD applique des exigences strictes en matière environnementale et sociale, inspirées des meilleures pratiques internationales, notamment par une sélection rigoureuse des projets miniers financés. Ces projets doivent démontrer une prise en compte effective des impacts potentiels sur l’environnement et les communautés locales. Par ailleurs, les financements du groupe AFD dans le secteur minier sont conditionnés à leur compatibilité avec les objectifs climatiques internationaux, notamment la trajectoire bas-carbone et la résilience au changement climatique. Ainsi, seuls les projets alignés avec l’Accord de Paris peuvent être soutenus. Enfin, l'AFD a mis à jour sa méthodologie d’analyse climat afin de permettre une meilleure prise en compte de la contribution de certains minerais à la transition énergétique. L’objectif est de favoriser une exploitation minière qui contribue directement à la décarbonation des économies, tout en réduisant son empreinte environnementale.
Par exemple, au Sénégal et en République du Congo, Expertise France met en œuvre une subvention de 1 million d'euros du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères pour l’amélioration de la gouvernance et de la transparence des industries extractives. En Turquie, c’est Proparco qui, en cofinancement avec la Berd, soutient l’amélioration du bilan carbone d’une mine de plomb, zinc et cuivre via le financement d’équipements d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables. Ce projet, pour lequel Proparco a alloué un prêt de 50 millions de dollars, doit permettre une réduction des émissions de gaz à effet de serre estimée à 28 000 tCO2/an. L’AFD, quant à elle, soutient une coopération technique de 800 000 euros entre le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et deux provinces argentines portant sur la réalisation d’une étude hydrogéologique visant à renseigner les conditions d’exploitation durable de lithium dans les salars (lacs salés).
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Compétences locales, souveraineté réelle
Pour reprendre la main, il faut d’abord se former. Thomas Lassourd rappelle que la souveraineté passe par la maîtrise technique : financiers, fiscalistes, ingénieurs, juristes miniers, environnementalistes, sociologues sont les premiers piliers d’un pouvoir de négociation crédible. « Tant qu’on ne construit pas une administration minière solide, on restera dans un rapport déséquilibré aux multinationales et au secteur artisanal. » L’ouvrage collectif insiste : pas de copier-coller. Pour Thomas Lassourd, il faut penser les politiques minières depuis l’Afrique, à partir de ses contraintes, mais aussi de ses indéniables atouts, et non depuis des modèles préfabriqués, importés, sinon imposés.
Ni rejet de l’extraction donc, ni acceptation passive d'une pratique dérégulée. Ce que défend le groupe AFD, c’est une autre trajectoire pour les ressources africaines. Une trajectoire où la souveraineté se construit progressivement par la réflexion, la négociation, le développement de compétences, l’investissement local et la capacité à dire non quand c’est nécessaire. Si l’Afrique ne manque pas de ressources et est appelée à jouer un rôle fondamental dans la transition énergétique mondiale, l’enjeu pour elle consiste à se doter des outils et des infrastructures lui permettant d'exploiter ces ressources dans le cadre de partenariats équilibrés, générateurs de retombées socio-économiques positives pour ses habitants.